Un vendredi soir, 22h30.
Je baisse discrètement le volume du téléviseur, les yeux rivés sur la porte du salon. Mes parents s’endorment doucement devant leur émission. Parfait. Je zappe sur NT1.
Catch Attack. C’est mon rendez-vous. Celui que j’attends depuis ce matin. Celui que je rejouerai dès lundi avec mes potes dans la cour, cartes de catcheurs à la main, imaginant des finishers et des scénarios de folie. À l’écran, les corps volent, les chaises claquent, les rivalités explosent. Mais quelque chose manque.
Plus de sang.
Je ne le sais pas, mais quelques semaines plus tôt, la WWE a officiellement interdit le blading,cette technique qui consiste à se couper discrètement avec une lame de rasoir pour couvrir son visage de sang, donnant à la scène un air de guerre mythologique. Le catch devient plus propre.
Plus lisse. Plus "marketable".
Mais aussi… un peu moins vrai.
Le sujet revient dans l’arène.
AEW, la ligue concurrente, fait le choix inverse. De temps à autre, elle autorise le blading. Pas systématiquement. Juste au bon moment. Quand la tension est à son comble. Quand l’histoire le mérite. Et chaque fois que le sang coule, le public réagit au quart de tour.
Ce n’est pas la violence qui fait frissonner.
C’est l’émotion.
Brute. Réelle. Incontrôlable
Le blading n’est pas qu’un effet de style. C’est un acte. Un message.
Il dit : “Je suis allé jusqu’au bout pour cette histoire.” Il transforme un divertissement codé en rite sacrificiel. Une preuve d’engagement physique dans un récit où tout est pourtant scénarisé.
C’est peut-être pour ça qu’on s’y attache autant. Parce qu’en 2025, on vit dans un monde saturé d’histoires. Des récits partout. Sur TikTok, dans les pubs, dans les campagnes. Mais combien nous touchent vraiment ? On scrolle. On admire. On oublie. À force de chercher à raconter, on a oublié de vivre ce qu’on raconte. Alors, quand une goutte de sang coule dans un ring, ce n’est pas la violence qu’on acclame.
C’est le signal que quelque chose a été vécu. Pour de vrai.
Ce retour du sang, même marginal, nous dit quelque chose.
Il nous rappelle que le public n’attend plus des histoires bien ficelées. Il attend des histoires habitées.
Celles qui ne laissent pas indemne, ni celui qui les vit, ni celui qui les regarde. C’est vrai pour les catcheurs. Mais aussi pour les artistes. Pour les créateurs. Et pour les marques. Ce qui crée du lien aujourd’hui, ce n’est pas la bonne formule. C’est la preuve qu’il y avait quelque chose en jeu.
Un vrai risque. Une vraie émotion. Une vraie trace.
Non, il ne s’agit pas de se couper pour vendre des sneakers.
Mais de comprendre que dans un monde où tout est raconté, ce qui compte vraiment, c’est ce qu’on ose traverser. Le blading, c’est l’anti-brand content.
Ce n’est pas prévu. Pas cadré. Pas "safe". C’est une faille. Une intensité. Un moment où le contrôle lâche, et où le lien devient réel. Et si on veut encore capter l’attention des publics en 2025, peut-être faut-il oser ça : du vrai, pas juste du beau.