ROLAND GARROS
LE CLASH DES CLASSES

On croyait encore le tennis réservé aux cols de chemise bien boutonnés, aux polos repassés et aux montres suisses qui brillent au poignet. On y allait pour applaudir poliment, pour parler revers lifté en sirotant un Perrier, pour sentir l’élégance. Puis on est tombé sur les tribunes du court 14 de Roland-Garros, édition 2025 : déguisements, chants d’ultras, marée humaine en short de bain.  Et là, gros bug.
Parce que ce qui se joue en ce moment à Roland-Garros, ce n’est pas seulement un Grand Chelem. C’est un clash culturel. Une dissonance. Une fracture même. Entre l’image de marque ultra-lisse du tennis, raffinée, élitiste, CSP+, et cette ambiance de kop qui monte des gradins.


Le choc des imaginaires

Longtemps, le tennis s’est rêvé comme une enclave de distinction. Un sport blanc, dans tous les sens du terme. Le prestige des clubs privés, les codes vestimentaires rigides, les silences de cathédrale au moment du service. Le tennis, c’était le contrôle. La maîtrise. La retenue.
Mais la foule a changé.
Elle vient pour autre chose. Elle veut vivre, vibrer, brailler. Elle chante plus fort qu’un kop de Ligue 1, elle sort des banderoles en carton, elle transforme chaque match en happening. Roland-Garros devient une fête populaire... dans un décor de luxe. 
Et ça gratte.


LA FRacture sociologique

Ce décalage, il dit quelque chose de profond : la fracture entre ceux qui détiennent le pouvoir symbolique du tennis (les marques, les institutions, les médias traditionnels) et ceux qui occupent désormais les tribunes. Une bourgeoisie culturelle face à une base populaire qui s’infiltre, détourne, s’approprie.
On assiste à une sorte de "gentrification inversée". Le sport chic est piraté par une foule qui ne respecte plus les codes. Le public ne veut plus jouer le jeu de la distinction. Il veut s’exprimer, mettre le bordel, faire partie du spectacle.
Ce n’est plus "regarder le tennis", c’est "faire Roland".
Et derrière ce carnaval des tribunes, il y a une revendication silencieuse : celle de réinjecter du chaos dans un sport trop lisse. De casser l’entre-soi. De décaler le regard.




La marque face à l’anarchie

Problème : les marques qui gravitent autour du tennis n’ont pas changé de logiciel. Elles continuent de vendre des imaginaires propres, cadrés, premium. Elles sponsorisent des spots léchés avec fond de piano, elles misent sur l’élégance et la sobriété. En somme : elles racontent encore un tennis qui n’existe plus tout à fait.
Cette fracture narrative est risquée. Car le public d’aujourd’hui ne veut plus consommer des récits hors-sol. Il veut que ça résonne. Que ça colle à sa manière de vivre l’événement. Les marques qui réussiront demain sont celles qui comprendront que le sport n’est plus une vitrine. C’est un terrain mouvant, un théâtre d’expressions collectives.



Roland, miroir d’une époque

Ce qui se passe à Roland-Garros n’est pas anecdotique. C’est une parabole de notre époque.
Une époque où les symboles sont retournés, les récits reconfigurés, les usages détournés.
Une époque qui ne veut plus choisir entre élitisme et fête de village.
Une époque qui assume le flou, les contradictions, les frictions.
Alors oui, le tennis est en pleine mutation.
Mais peut-être que c’est ça, le vrai sport de demain : un espace de tension vivante entre les récits d’en haut et les usages d’en bas.
Une zone d’inconfort où l’on ne sait plus très bien si on est dans un carré VIP ou sur le dancefloor d’un festival.
Et si, justement, c’était ce trouble-là… qui faisait vibrer ?